Et si l’art permettait à des mondes que tout oppose de se rencontrer ? Pour Sara Paubel et Stéphanie Merran, co-fondatrices de Ce Que Mes Yeux Ont Vu, c’est une conviction ! À travers leurs ateliers de pratique artistique, elles proposent à des collaborateurs d’entreprises et à des personnes en situation de grande précarité de développer l’écoute, la créativité, la confiance et l’empathie. Des compétences humaines pour un meilleur rapport au monde, mais aussi avec soi-même.
Ce Que Mes Yeux Ont Vu, c’est l’histoire de nombreuses rencontres. Et avant tout, celle de Stéphanie Merran et Sara Paubel. Après avoir imaginé ensemble des dispositifs de médiation culturelle à l’occasion de plusieurs Monumenta, elles se retrouvent à nouveau au Grand Palais.
Leur mission : rendre les expositions accessibles au plus grand nombre et, en particulier, aux publics éloignés de la culture (les personnes en prison, hospitalisées, handicapées, en situation de précarité sociale…). « Assez rapidement, raconte Sara, nous nous sommes rendues compte qu’il était plus simple de mener un travail de médiation directement dans les centres d’hébergement d’urgence, plutôt que de faire venir en masse des personnes qui n’étaient pas préparées à voir des expositions. » Stéphanie et elle montent alors le programme « Hors Format ». Au fil de 10 ateliers, elles retrouvent une quinzaine de participants et engagent avec eux une réflexion autour de la thématique d’une exposition présentée au Grand Palais. « Ce petit groupe, c’était comme une microsociété, où l’on doit se respecter, où l’on fait émerger des idées, tout en écoutant les autres, explique Sara. Le lien social qui se créait alors entre ces personnes – qui ne se connaissaient pas auparavant – allait bien au-delà de la discussion sur l’art. »
Quand l’art devient un outil pour rencontrer l’autre
Un jour, un des participants au programme déclare à Sara et Stéphanie : « Ce qui est bien avec vous, c’est que vous ne nous prenez pas pour des SDF ». C’est le déclic. Selon elles, l’art ne doit pas seulement être considéré comme une finalité (tel que c’est le cas dans un musée), mais aussi comme un outil permettant aux gens de se rencontrer, de se connaître et de mieux vivre ensemble. En 2016, elles décident de quitter le Grand Palais pour fonder leur propre entreprise.
Ce Que Mes Yeux Ont Vu est née. L’idée de départ ? Proposer des ateliers artistiques pour les personnes en situation de grande précarité afin de les aider à dépasser l’inconfort social et à réveiller des soft skills telles que l’organisation, l’adaptabilité, la confiance, l’empathie et la communication.
Très vite, les deux co-fondatrices font un autre constat : il existe aussi un malaise chez certaines personnes qui travaillent. « L’indifférence, la mésestime de soi, les rapports compliqués avec autrui sont des souffrances que l’on retrouve aussi bien dans un centre d’hébergement d’urgence que dans une grande tour de la Défense », déclare Sara. Avec Stéphanie, elles décident donc d’élargir leurs horizons et ouvrent leurs ateliers aux collaborateurs d’entreprises. Sur certains formats, elles proposent même aux deux mondes de se rencontrer.
Un choc des cultures ? Peut-être, dans un premier temps, mais une fois dépassé, ces ateliers sont surtout un incroyable générateur de lien social. « Certes, un atelier de décoration de cupcakes peut faire moins peur que d’emmener des équipes dans un centre d’hébergement d’urgence, mais l’impact n’est pas le même », ajoute Sara.
L’Incubateur du Patrimoine comme tremplin
Après avoir participé au programme des Audacieuses porté par La Ruche, Stéphanie et Sara intègrent la 1ère promotion de l’Incubateur du Patrimoine – porté par le Centre des Monuments Nationaux – en juin 2018. « En matière de projets culturels, nous étions rodées, confie Sara. Mais la création d’une entreprise recèle de nombreuses autres tâches avec lesquelles nous n’étions pas familiarisées : l’administration, la finance, le développement stratégique, le storytelling, la communication… L’accompagnement de CREATIS, et notamment de notre mentor, nous a permis de faire un énorme bon en avant (et rapidement !) dans tous ces domaines. »
Aujourd’hui, Ce Que Mes Yeux Ont Vu est devenue une entreprise de l’économie sociale et solidaire qui travaille en étroite collaboration avec des partenaires culturels et sociaux. Les prochains défis de Sara et Stéphanie ? Convaincre davantage d’entreprises de l’utilité de leurs ateliers atypiques, développer de nouveaux formats de projets, trouver des indicateurs fiables pour mesurer l’impact positif de leur action et gagner en visibilité. Quand on sait qu’elles ont dernièrement enregistré une capsule sonore à l’Élysée avec Brigitte Macron pour leur artothèque, il y a fort à parier que leur vœux seront prochainement exaucés.